Culture et territoires en Île-de-France

Imprimer

03 Mar 2011

Limites et détours de la prescription culturelle en Île-de-France

Henri-Pierre JEUDY, Maria Claudia GALERA

(résumé)

Cette étude se présente d’abord comme une réflexion sur la notion de prescription culturelle. En général, les difficultés que nous avons rencontrées viennent du mot lui-même et de ses usages possibles. Si le mot « prescription » surprend quand on parle de l’art et de la culture, sans doute est-ce dû au sens normatif qu’il introduit dans des domaines où la croyance en la liberté demeure tenace. Nous avions donc envisagé dans notre projet d’analyser les aspects normatifs, implicites et explicites, du fonctionnement de la culture sur un territoire circonscrit en Île-de-France : le quartier de Belleville, et plus particulièrement le secteur de la rue des Cascades, de la rue des Envierges, de la rue de la Mare… La morphologie sociale de ce territoire change beaucoup au fil du temps et nous avons pu remarquer, dès le commencement de nos investigations, combien la place des artistes, en général inconnus, était devenue prépondérante. L’intérêt d’avoir choisi ce territoire urbain, qui fut l’objet de nombreuses recherches anthropologiques, est de pouvoir orienter notre analyse de la « prescription » en articulant les modalités de la création artistique contemporaine aux pratiques culturelles, dans un espace urbain qui est lui-même « multicuturel ».

Nous avons procédé de diverses manières, soit par des observations régulières, soit par des entretiens, soit par des visites commentées des rues et des lieux privés (tels les ateliers d’artistes), des lieux publics (tels les cafés dont les activités culturelles – lectures de poésie, musique, expositions de photographies, de dessins… – sont presque quotidiennes). Nous avons également participé à des réunions collectives, plus particulièrement lorsque nous cherchions à analyser la relation entre le « bon goût » et la « prescription ».

L’orientation de notre recherche s’est précisée au fur et à mesure de nos investigations sur le terrain mais nous n’avons jamais abandonné cette notion de « prescription » qui, chaque fois, qu’elle était prononcée, semblait déplacée pour nos interlocuteurs. On peut comprendre par ailleurs, que sur un plan méthodologique, l’usage d’un mot « qui choque », soit un moyen de stimuler la réflexion. Aujourd’hui, quand on parle de la « réflexivité » et qu’on en fait, comme Habermas, l’éloge, on peut considérer que la « prescription culturelle » est un produit de cette réflexivité. Mais si le mot n’est pas bien accepté, surtout quand il s’agit de la création artistique, est-ce à dire que ce processus de réflexivité, par lequel une société se saisit en miroir d’elle-même pour mieux se gérer, connaîtrait ses limites ?

En ce qui concerne la territorialisation culturelle, nous avons tenté d’analyser comment les riverains, dans le secteur que nous avons investi, s’imaginent ce qu’elle peut être. Et plus particulièrement, nous avons pu remarquer quelques faits sociologiques : les artistes de Belleville, très nombreux, construisent des réseaux de relations culturelles à partir de leurs ateliers souvent minuscules, les bistrots « culturels » rassemblent les amis des artistes et la vie culturelle, malgré l’apparence de son cosmopolitisme produite par la diversité ethnique de la population, semble se réaliser, se construire au fil du temps, plutôt en « circuit fermé ». Ce qui nous a conduit à analyser comment la prescription culturelle ne viendrait pas essentiellement des modes de sensibilisation culturelle développés par des instances institutionnelles, mais qu’elle se construirait, d’une manière souvent implicite, sur le territoire lui-même dans la vie culturelle et artistique au quotidien.

Les abstracts

- mise à jour / 19 mars 2024